Si l’on va voir "Prometheus" avec l’idée d’avoir des réponses métaphysiques, on risque d’être déçu, et pourtant on peut en ressortir avec un désir intense de toucher au mystère qui se dérobe. Le scénario et l’ambiguité des personnages semblent s’amuser à nous dérouter, empêchant toute certitude, et stimulant ainsi la réflexion. Tout cela peut même parfois sembler confus et incohérent mais laisse sous-entendre que ce n’est que l’effet d’une vision partielle de la réalité ; il nous manque des éléments pour comprendre, ça c’est clair. Les premières images sont d’une beauté majestueuse et sobre, le sacrifice de l’Ingénieur sur terre probablement en des temps reculés confirme la volonté d’une race supérieure aliène de créer l’homme, en offrant son ADN à la biodiversité. Une hypothèse réduisant à néant toute la cosmogonie chrétienne, bien que tout au long du film les références bibliques assez lourdes ne manquent pas. Le Dr Shaw choisie par Weyland parce qu’elle est croyante, est une scientifique fascinée par la connaissance, prenant le risque de perdre toutes ses illusions et qui pourtant ne lâche pas sa croix (au sens propre) ayant toujours l’espoir d’une réalité divine.. . On ne touche pas à l’origine de l’homme sans fragiliser des croyances, et c’est là l’un des intérêts de ce film remettant radicalement en question tous les mythes traditionnels et réponses faciles.
La première partie du film fait vraiment penser à la nouvelle de Lovecraft « At the mountains of madness » ce qui n’est peut-être pas pour déplaire aux fans de l’auteur. On a l’impression d’être cernés par la présence insidieuse des Grands Anciens, et on sent qu’il y a quelque chose de terrifiant qui rampe dans les ténèbres. Puis, cette substance noire, visqueuse et dense. L’expédition humaine semble démesurément fragile comparée à l’envergure de la menace suggérée. On se demande si l’ origine de l’humanité n’est pas définitivement hermétique à l’homme. Les Ingénieurs fascinent et le design complexe de Giger contribue largement à une perception quasi-extatique. Lorsque l’unique Ingénieur survivant est « réactivé », on sent un espoir fou parmi les membres de l’expédition d’enfin pouvoir s’entretenir en tête à tête avec leur créateur, être supérieur: enfin pouvoir dépasser la condition humaine, être libéré de la mort, comprendre la raison d’être de l’humanité, et atteindre ainsi un état de conscience transcendant. Mais lorsque l’Androïde David s’adresse à l’Ingénieur dans sa langue, celui-ci marque un temps d’arrêt, émotionnellement crypté, il rentre pourtant dans une furie ultra-violente, avec la volonté très nette de vouloir tous les exterminer. La stupeur est sur tous les visages, les illusions s’effondrent face à un nihilisme implacable. « Il n’y a rien » sont les derniers mots de Weyland confirmés par David. Ce n’est pas la réponse qu’on voulait idéalement avoir, et pourtant elle ouvre sur une profondeur obscure fascinante. Lorsque le Dr Shaw seule survivante du massacre, se retrouve totalement seule avec le colosse menaçant sur cette lune hostile, on peut avoir un sentiment intense de solitude et désolation. Bien que fragilisée, elle semble pourtant animée d’un instinct de survie phénoménal, sans crainte, elle se défend et est ironiquement « sauvée » par la créature extirpée de ses entrailles quelques heures plus tôt, devenue gigantesque. On peut se demander si c’est parce qu’il protège sa génétrice instinctivement ou si c’est parce qu’il est plus important de « s’accoupler » avec l’Ingénieur et créer ainsi un nouvel être hybride. On perçoit ici l’acte de procréation comme un acte funeste de reproduction dominatrice, celle d’un prédateur.
Les derniers instants sont un récapitulatif et une réflexion du Dr Shaw, qui décide de poursuivre son exploration vers le lieu d'origine des Ingénieurs au lieu de rentrer au bercail. En utilisant un des vaisseaux des Ingénieurs avec l'aide de David, seul "survivant" avec elle, et n'ayant plus rien à perdre, le Dr Shaw veut comprendre pourquoi les Ingénieurs nous ont créés puis ont radicalement changé d’avis. Cette lune est une base militaire où est entreposée une arme de destruction massive, trop dangereuse pour la planète d’origine des Ingénieurs. Les grosses bêtes et cette matière noire sont-elles une et même chose, sous différentes formes, le mal absolu ? A suivre , sans aucun doute.