Quand celui qui mène l’interview est un inquisiteur averti qui cherche à extraire l’essence des pratiques ésotériques d’entités black métalleuses, ou d’artistes de l’extrême (Erica Frevel), un grimoire complexe se matérialise. L’élégant Zine V.I.T.R.I.O.L dédié à l’occulte et au black metal bannit d’emblée la paresse intellectuelle et invoque les esprits de la conscience modifiée à participer à un rituel épistolaire sans complaisance. Les questions sophistiquées d’Alcide van Zan défient et forcent à la perspective et l’introspection, et possèdent plusieurs niveaux de compréhension et d’interprétation. Ceci explique probablement que parfois les réponses semblent à côté de la plaque, ou d’avoir une impression de dialogue décalé où la connexion n’est pas toujours établie. La plupart des membres de groupes ont préféré répondre par écrit pour avoir le temps de concocter leurs réponses, et on les comprend… Mais d’autres plus valeureux tel que Magus du projet Paganland ont pris le taureau par les cornes dans un échange vivant et édifiant.
Le black metal revendique depuis son origine une aura noire de magie exécrable au fin fond des forêts glaciales, mais cela ne signifie pas pour autant que tous les groupes de black metal soient forcément des entités occultes, ou le véhicule de pouvoirs mystérieux. Même si c’est l’impression qu’ils s’efforce de donner. L’esbrouffe est une pratique « magique » répandue sur cette scène en passe de devenir « mainstream », où l’apparat n’est pas seulement une occultation mais parfois une imposture aux motivations vénales. Et c’est pour cette raison que la démarche (ou la mission) d’Alcide est intéressante, voire vitale pour conserver une certaine authenticité dans un espace créatif qui dépasse le cadre musical. Cependant, le zine présente des projets et artistes appréciés par Alcide pour qui il a du respect et qu’il connait bien. Il ne s’agit pas d’interviewer un groupe pour vulgairement déboulonner ses convictions ou ridiculiser un artiste. Cependant, la friction est essentielle pour extraire la substance d’une création artistique, et les questions confrontent les concepts et points de vue. Le but n’est pas de les déstabiliser, mais de leur donner l’espace pour expliquer leur parcours et leur vision, et donner un sens plus explicite à leur projet. Il est même à parier que ces questions ont permis aux interviewés de déterrer des aspects jusque là inconscients ou non exprimés de leur création.
Les thèmes de la vulnérabilité, de l’introspection, de la destruction de l’égo (ou pas), et de la nature de l’abysse y sont abordés, ouvrant une perspective plus sincère et osons le dire, spirituelle, de vibrations sinistres souvent mal comprises. Les masques tombent, les clichés de l’agressivité gratuite sont ébranlés et on découvre les préoccupations et pratiques personnelles à l’origine des textes et concepts des compositions.
Que vous soyez chaote, adepte de black metal ou occultiste confirmé, ou pas, les questions/réponses du zine sont une mine d’informations, de références et de sujets de contemplation qui ne peuvent qu’enrichir l’expérience de ses lecteurs. Il faut pourtant préciser que tout n’est pas « en clair » et certaines choses vous paraitront obscures et cryptiques, ou même prétentieuses par leur complexité, mais même lors d’une lecture critique, vous sentirez qu’une lueur s’est allumée ici ou là, et que vous distinguez peut-être un sentier. Un conseil serait peut-être de ne pas exténuer l’intellect qui sera dépassé dans bien des cas, mais laisser intuitivement l’alchimie opérer sans chercher absolument à comprendre de quoi il en retourne.
Même si les références et concepts abordés dans les interviews sont rigoureusement documentés et basés sur une connaissance traditionnelle, la forme est plus nébuleuse, d’inspiration mystérieuse, et la question se déroule comme un serpent hypnotique. Alcide van Zan confirme qu’il écrit ses questions dans un état modifié de conscience que certains appellent une transe, comme s’il les traduisait de quelqu’un d’autre, peut-être un phénomène proche de l’écriture automatique. Manifestation qu’il ne provoque pas mais n’explique pas non plus, se laissant porter par le mystère de l’expérience. Son approche personnelle résolument pratique de la magie du Chaos basée sur l’expérimentation, est la pierre d’angle de l’élaboration de son propre système magique. Le dernier article du zine est consacré à un évènement ayant eu lieu au Chalet Crépuscule d’Oryelle Defenestrate en Belgique en 2019 lors du solstice de Lammas, une réunion sorcière où beaucoup de talents se sont exprimés à la frontière des possibles. Alcide qui a alors proposé son atelier de self défense en partie basé sur l’hypnose évoque cette performance comme un évènement marquant pour différentes raisons que vous découvrirez dans le zine. A une époque où beaucoup gobent n’importe quoi, suivent les mages borgnes de la scène occulte online au risque de se perdre dans une confusion innommable, Alcide appelle à la connaissance authentique où la sentinelle intérieure discerne pour éviter les écueils de l’ignorance glorifiée.
Pour parler de l’aspect plus tangible du zine, la direction artistique et mise en page réalisée par l’artiste œuvrant sous le nom de « La consolation des ombres » fait du zine un objet de plaisir visuel et tactile. Le texte imprimé blanc sur noir, sur un papier mat de qualité met en valeur les photos, émanations atmosphériques d’un égrégore sibyllin.
Un CD de transmission sonique de rituels d’Alcide van Zan, retravaillé par Napharion Zvialadze pour Markab Project, accompagne la parution dans le but de renforcer l’effet de la lecture et ouvrir une dimension supplémentaire.
Au départ publié en anglais, les numéros de V.I.T.R.I.O.L sont maintenant disponibles en français.