Faire le ménage dans ses relations et choisir la solitude ont toujours été suspects. On n’aime pas ceux qui ne rejoignent pas le troupeau et ostensiblement suivent leur chemin sans se soucier de la tendance générale. On les craint, parce qu’ils sont soupçonnés de dissimuler des secrets inavouables, d’avoir une tare, ou de manigancer de noirs desseins. Les sorcières et ermites de tous temps en ont fait les frais. Ces craintes ne sont pas non fondées sans pour autant être justifiées. Pour trouver de nouvelles forces en soi, se développer et trouver sa voie, sa voix authentique, il est nécessaire de s’éloigner du troupeau et de la distraction en se protégeant autant que possible d’influences extérieures perturbatrices.
Une prise d’indépendance salvatrice
L’inclination à la solitude se révèle alors naturellement comme un apaisement, une clarté d’esprit opposé à un agacement grandissant en présence d’interactions sociales superficielles. Les conversations ennuient, les centres d’intérêt sont loin des nôtres, l’isolement se profile peu à peu jusqu’à ce que l’on réalise non sans angoisse, que nous sommes seuls sur notre île et que les liaisons sociales de surface ont définitivement perdu de leur réalité et de leur valeur. Le besoin impérieux de tracer sa route intérieure en solo devient clair, comme s’il s’agissait de se débarrasser d’un poids inutile qui empêche de se mouvoir librement ; celui de la pression sociale, de l’appartenance à un groupe et de la soumission à ceux qui sauraient mieux que nous, à ceux dont nous croyons dépendre. Personne n’est jamais vraiment isolé et pourtant personne n’est jamais vraiment proche, un paradoxe que l’on observe en action dans toutes les complexités des relations humaines.
Chacun est fondamentalement seul, seul face à sa mort, à sa naissance, à sa vie, personne d’autre ne peut vraiment connaître une vision personnelle. Le monde intérieur, les motivations, peurs et espoirs intimes dans leur totalité ne sont connus que de nous-mêmes.
Au niveau individuel, le besoin d’un "leader" ou de s'identifier à un groupe, semble majoritairement prévaloir sur les valeurs d'indépendance et d'autonomie. En se reposant sur un groupe, on gagne parfois en détermination et confiance mais on peut y perdre aussi. L'attention se ramollit, on se repose sur l'acquis collectif et la remise en question devient difficile et se paie souvent au prix d'une perte de lucidité et de créativité. Sans parler des pertes d'énergie en discussions stériles. Panurgisme, galvanisation des foules, propagande, hystéries collectives, culture de masse, manipulations, autant de raisons de prendre du recul, pour mieux apprécier le tableau.
Agir seul, à sa façon, n'empêche pas non plus d'agir en allant dans le même sens que d'autres mais sans rapport de codépendance ou de compte à rendre. Chacun conserve sa liberté de mouvement et naturellement se rapproche ou s'éloigne de ceux qui vont dans le même sens sans la nécessité d'un carcan imposé. Le seul engagement est celui de chacun envers sa propre conscience. L'idée reçue que le "leader" est garant de certaines valeurs, mérite d'être examinée. Il ne s'agit pas ici de développer une forme d'anarchisme sauvage mais de reprendre le pouvoir légitime de décider, de trouver des solutions par soi-même.
Rien n’est à détruire, ni personne à renverser littéralement dans un premier temps, il s'agit juste récupérer le pouvoir que l’on a donné à d’autres de penser et de décider. La responsabilité individuelle implique davantage de liberté mais aussi un sentiment d’insécurité et d'incertitude à dépasser en fortifiant le sentiment de valeur personnelle unique.