La trajectoire de l’humanité ne semble pas avoir plus de sens que la vie individuelle. Réussir sa vie, ou réussir l’humanité, est-ce vraiment rationnel? L’absurdité tente de nous réveiller par ses tours de force: la mort en particulier semble se moquer totalement de nos plans de cohérence et d’accomplissement. Soit elle nous coupe dans notre élan, soit son éventualité nous paralyse ou alors elle ignore les épuisés qui ne tiennent plus à rien et l‘implorent, fauchant au contraire l’impétuosité de l’être et le talent sans sourciller. Il semble qu’il n’y a aucune prise en compte de l’utilité de qui que ce soit ou de quoi que ce soit. On a bien voulu au cours du temps la représenter symboliquement et lui prêter des intentions comme pour l’apprivoiser, la rationaliser et avoir un minimum de contrôle sur ce phénomène inéluctable et mystérieux. Aujourd’hui dans nos contrées aseptisées de l’occident, on la cache tentant de l’oublier une bonne fois pour toutes. Seules les créations artistiques en la mettant au défi de les annihiler osent encore effleurer le sujet, en suggérant des atmosphères ou des états d’âmes.
La mort reste un espoir ou de retrouver les amours perdus ailleurs et autrement ou de supprimer toute trace, d’oublier, moi y compris, le témoin gênant d’un monde effacé. La torture d’avoir un destin, éventuellement, s’achèverait ainsi me laissant libre et en paix. Fini les responsabilités, les questions, les échecs et les efforts; complications sûrement ridiculement inutiles et qui pourtant meublent l’esprit et l’existence des hommes.
La vie est une victoire permanente sur la mort et tout ce qui existe est miraculeusement épargné, en sursis du moins encore un peu. D’instant en instant, on est encore là ou pas, on n’a pas choisi d’être vivant, ni on ne choisira de mourir. Aucun choix fondamental ne nous incombe ici et maintenant, jamais. Le suicide serait vraiment un choix si l’alternative de la non mort était une option. Le suicide est le changement d’horaires d’une fatalité programmée tôt ou tard.
La réalité n’a pas de moralité et l’homme s’en est inventé une par faiblesse, par crainte puérile de s’ouvrir à l’inconnu. En disséquant les principes en termes de bien et de mal, l’esprit prend appui sur une forme et peut agir rationnellement en donnant une valeur à ses actes. Sans ça, plus de direction pour ou contre, plus rien c’est le chaos, l’aléatoire ou une vision sans limite. Au-delà de l’harmonie et du chaos, du bien et de mal, du libre arbitre et de la fatalité...le témoin.