Il semble presque superflu d’écrire encore quelque chose sur West Memphis 3, une histoire qui a généré tellement de commentaires et curiosité malsaine que Damien Echols avait la sensation d’être un phénomène de foire. Sa condamnation à mort à l’âge de 17 ans fit de lui une célébrité récalcitrante. Son être intime et sa vie furent jetés en pâture aux esprits avides de sordide pendant des années, pour le meilleur et pour le pire. Et pourtant la lecture du mémoire de Damien « La vie après la mort » écrit après sa sortie de prison en 2011 est une leçon de perspective dans l’art de survivre en enfer quand on est pleinement conscient. Il ne s’agit pas d’une analyse du cas d'un point de vue juridique (voir damienechols.com, theblueriderpress.com, wm3.org) mais du ressenti personnel de ce qu’il a vécu. Sans larmoyer mais en restant proche de la réalité, dans un style sobre, Damien y retrace son enfance et adolescence dans un coin désaffecté des US, où la misère reflète la débilité environnante, jusqu’à sa sortie de prison et ensuite. Son intelligence affutée semble l’avoir soutenu dans son parcours tout en intensifiant la douleur et l’isolement. Poétique, cru, sarcastique, touchant et profond, il nous emmène dans un monde désespéré où les moindres détails portent un risque de souffrance ou de mort psychique, physique et sociale. Quand il dit qu’il n’est allé nulle part pendant 16 ans, que le summum de son bonheur aurait été de boire un verre à une terrasse de café ou de marcher sous la neige, qu’il ne pouvait faire que deux pas dans sa cellule exiguë, on mesure (peut-être) le confinement qu’était sa vie pendant 17 ans. Il décrit avec honnêteté le rapport entre les condamnés, sans épargner personne, ses descriptions sont lucides dans un univers où les conventions et les masques sont un luxe inutile.
La pire vermine de ces quartiers de haute sécurité sont, dit-il les gardiens corrompus et sadiques. Il précise que son témoignage concerne l’établissement où il se trouvait pendant sa détention et ne s’applique pas à tous les gardiens de prison des États-Unis. Il donne des contre-exemples afin de ne pas tomber dans une haine aveugle du fait d’une frustration extrême, pourtant bien compréhensible.
Ce qui est remarquable dans son récit est la force intérieure qui lui permet de maintenir une discipline personnelle stricte alors que les circonstances sont insupportables et l'espoir de jours meilleurs quasi nul. Ses aspirations personnelles le porteront vers la pratique de la méditation et l'approfondissement de la connaissance de soi à travers diverses pratiques occultes. Du fait de sa volonté, Damien semble avoir trouvé une stabilité en lui transparaissant dans son calme et sa douceur dénuée d'illusion. Il dit aussi avoir beaucoup de mal parfois à supporter l'énergie des gens après tant d'années en isolement total. Son hypersensibilité lui rend la vie dure surtout du fait de sa popularité. Il dit cependant apprécier les marques de sympathie d'inconnus dans la rue et remercie tous ceux qui l'ont soutenus au cours des années sans lesquels il n'aurait pas eu la force de lutter. Nos petites misères quotidiennes semblent ridicules en comparaison et en même temps nous avons tous ressenti les sentiments qu’il évoque dans un contexte différent. De l’intérieur son expérience ne nous est pas étrangère, la souffrance humaine est commune, et la volonté de la transcender aussi.
Il ne se pose pas en victime et affirme que son vécu a un sens pour lui, qu’il ne serait pas aujourd’hui le même homme sans cela, un homme ayant dépassé ses limites. C’est une des clés du livre, réflexion sur le destin, le sens d’une vie, l’aspect « magick » de l’existence selon Damien. Le désespoir le plus profond et l’espoir le plus fou ne seraient que les deux côtés d’une même pièce. Lumière et ténèbres inséparables amants de nos tortures et extases.